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Ouvrage

H 0 L'erreur de Descartes : la raison des émotions

Damasio Antonio R. ; Blanc Marcel (Traducteur)

O. Jacob

1995

368 p.

2-7381-0303-0

152.4 DAM

150euros

Psychologie ; Psychologie cognitive

Le 28 Avril 1995


« Les émotions sont fondatrices de la raison »
« En quoi avez-vous été trompé par Descartes ?

Descartes constitue un emblème pour nombre de praticiens des neurosciences, dans la mesure où il a beaucoup traité des rapports entre l'esprit et le corps, qui étaient pour lui de natures différentes. Aujourd'hui encore, de nombreux scientifiques pensent l'esprit, le corps et le cerveau en termes cartésiens. J'ai moi-même partagé cette vision pendant longtemps, alors que la neurobiologie nous indique clairement que l'esprit peut être considéré comme la plus complexe des fonctions des grands systèmes biologiques. Mon hypothèse est que ce sont les émotions, et la perception des émotions, qui fondent la faculté de raisonnement, et même la conscience.

Cette hypothèse s'appuie sur des cas similaires à celui de Phinéas Gage. Cet Américain, victime en 1848 d'un accident qui avait lésé une partie de son cortex préfrontal, avait montré une aptitude particulière à prendre des décisions contraires à ses intérêts. Des malades présentant les mêmes lésions sont incapables de ressentir des émotions et rencontrent les mêmes difficultés d'insertion sociale. Avez-vous pu leur apporter des réponses thérapeutiques ?
Près de 2 000 personnes porteuses de lésions cérébrales et présentant des déficiences en matière de perception, de mémoire, d'émotions ou de raisonnement ont été étudiées dans mon centre de recherche. Certaines d'entre elles ont perdu la faculté de reconnaître les visages, y compris ceux de leurs proches. Il est possible de leur enseigner des stratégies de reconnaissance d'indices, comme la forme particulière d'une paire de lunettes. Mais nous commençons seulement à trouver des pistes pour les malades qui, comme Phinéas Gage, n'arrivent pas à prendre de bonnes décisions engageant leur avenir personnel.

Vous citez l'ouvrage de Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation...
Ce qui me rapproche de lui, c'est le constat que notre esprit est agité de phénomènes non conscients. De nombreuses données de laboratoire offrent un support à un inconscient, sans doute différent de celui défini par Freud. Le test du « jeu de poker » en est une illustration. Il consiste à faire choisir des cartes parmi quatre piles, dont deux peuvent être associées à des gains, mais aussi des pertes élevées, tandis que les deux autres piles permettent des gains faibles, mais des pertes limitées : il est à terme plus rentable de piocher parmi les piles offrant des gains minimes.
» On constate que les individus normaux sont capables de choisir des « bonnes » cartes avant même d'avoir pris conscience, intellectuellement, de la stratégie réelle du jeu. Lorsqu'ils s'apprêtent à piocher dans une pile « à risque », on enregistre une augmentation de la conductivité électrique au niveau de leur épiderme, ce qui traduit une émotion inconsciente. Il y a donc quelque chose dans notre cerveau, dans notre biologie, qui nous aide à décider, en amont de notre cognition.

Qu'en est-il des individus ayant subi une lésion préfrontale du type de celle de Phinéas Gage ?
Ils prennent conscience très tardivement des règles de ce poker, mais ne sont pas capables d'utiliser cette découverte pour améliorer leurs gains. Dans ce jeu, comme dans la vie réelle, ils ont le savoir, mais pas le savoir-faire. Leur particularité est précisément de ne pas présenter d'émotions avant de choisir les cartes. Je pense donc que les émotions jouent plusieurs rôles, dans la régulation des processus physiques, et dans la conduite des raisonnements. La tradition rationaliste, pour laquelle les décisions optimales s'appuient sur une raison pure de toute émotion, ne rend pas compte de la réalité.
Vous abordez la question des psychopathies et des sociopathies. Vos conceptions et vos tests ne risquent-ils pas de fournir des instruments de contrôle social ?
Je pense que, pour le moment, il est très dangereux de partir des idées avancées par la neurobiologie pour les appliquer au champ social. Il faut trouver quels états biologiques peuvent entraîner des actions dont le sujet n'est pas entièrement responsable. Mais si quelqu'un n'est pas responsable, en termes biologiques, cela ne veut pas dire qu'on ne doit pas protéger la société de ses exactions. Il faut à la fois traiter le psychopathe et protéger la société.
» Une étude menée à Vancouver, au Canada, a montré que certains criminels présentent des réponses émotionnelles fortement corrélées avec celles des malades préfrontaux. Mais ma responsabilité, en tant que scientifique, est de dire très clairement qu'il faut se méfier des tests isolés, car tout ce que nous sommes, en termes biologiques, n'est pas seulement commandé par la génétique, mais aussi par notre développement, en interaction avec le milieu physique et social.

Quel est votre sentiment sur certaines approches qui comparent le cerveau à un super- ordinateur ?
Les recherches en intelligence artificielle reposent sur une conception de l'homme qui laisse de côté le corps, l'émotion et les sentiments (exactement ce qui manque à l'ordinateur). Il s'agit d'une forme moderne du dualisme cartésien. Ce qu'on oublie, c'est que les ordinateurs n'ont pas de problème de survie. Or tout ce que nous faisons tourne autour de la vie, de sa valeur. Et là, l'émotion n'est pas un luxe. Au cours de l'évolution, elle a même été fondamentale pour la survie des espèces animales et l'adaptation des conduites humaines : elle signale le danger, l'appétence pour la nourriture, le sexe, etc. Descartes voulait mettre l'esprit sur un piédestal, pour qu'il soit respecté. Le problème aujourd'hui, c'est de continuer à respecter l'esprit, tout en comprenant qu'il fait partie d'un organisme. Même si son esprit est biologique, chaque homme n'en est pas moins unique. »


PROPOS RECUEILLIS PAR HERVE MORIN

Type de support : Papier

Format : 24 cm.

Niveau d'autorisation : Public

Notes ISBD : Traduction de "Descartes' error : emotion, reason and the human brain".

Thème : psycho

Localisation : Documentation IFSI/IFAS

Collection : Sciences

Lieu d'édition : Paris


Exemplaires

Nbre d'exemplaires : 1
Cote Code barre Commentaire
1 152.4 DAM 000000392401 Absent le 12/07/2010

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